Les hausses récentes et considérables des prix entraînent des surcoûts qui sont inévitablement répercutés sur les acheteurs d’imprimés et leurs clients. Cette flambée des prix couplée aux fortes difficultés d’approvisionnement ont une forte influence sur toute une industrie qui traverse un moment tragiquement historique.

Pour un secteur déjà en difficulté structurelle, ces problématiques en cascade touchent tous les acteurs, des imprimeurs aux libraires en passant par les éditeurs.

Quels sont les effets de la crise du papier sur les différents acteurs ? Comment cela a-t-il impacté les méthodes de travail dans l’insdutrie print ? Comment les acteurs font-ils face à cette situation ?  Comment s’adapter à cette nouvelle donne ?

     

ETAT DES LIEUX DU SECTEUR DE L’IMPRIMERIE

Une industrie déjà affaiblie, les problèmes structurels

L’imprimerie est à la croisée de 2 secteurs, celui du papier et celui de la communication. De ce fait, c’est un acteur important de l’économie “facilitant l’accélération des échanges et la vitalité de l’économie et l’emploi”, rappelle l’UNIIC.

Depuis le début des années 2000 l’imprimerie traverse néanmoins des moments compliqués. La démocratisation croissante de la digitalisation au détriment du papier a entraîné une crise de la demande et une forte pression sur les prix.

Une situation particulièrement pesante pour une filière qui est composée à plus de 95% d’entreprises de moins de 50 salariés, (représentant environ 60% de la main-d’œuvre). Ces PME ont donc moins de marge de manœuvre pour faire face aux aléas. Le chiffre d’affaires sectoriel en a donc fortement pâti avec une baisse de 12% entre 2013 et 2019. A cela s’ajoute une désindustrialisation systémique du tissu de production français.

Tous ces facteurs ont engendré de fortes diminutions d’effectifs (environ -4% par an depuis 2008) pour arriver à près de 53 000 personnes en 2019, d’après une étude de Xerfi. Cette même étude indique que sur 11 ans, cela représente une baisse de 39%, soit la destruction de plus de 34 000 postes”.

Cette vulnérabilité structurelle de l’imprimerie fait que le secteur est moins en capacité d’encaisser les chocs conjoncturels qui le frappent de plein fouet.

« La survalorisation du digital par les donneurs d’ordre comme outil de distanciation sociale et de sécurité (école à la maison avec recours accru aux supports pédagogiques numériques, popularisation du télétravail contribuant à asseoir l’émergence de la « techsociety », méfiance par rapport aux objets matériels et au support papier, notamment en matière de paiements) a pu contribuer à fragiliser la filière graphique »

Union Nationale des Industries de l'Impression et de la Communication (UNIIC)

Le ralentissement de l’économie, premier coup de massue

Toutes les mesures de restrictions mises en place afin de contrer la prolifération du Covid ont ébranlé les entreprises françaises, en particulier celles de l’imprimerie. L’arrêt des événements, la forte baisse de la pagination publicitaire, la subite rupture de contrats sont autant de facteurs qui ont contribué à la fragilisation des entreprises. Nous en parlons plus en détail dans cet article sur l’impact du Covid sur l’imprimerie française.

Dans ce contexte, toutes les sociétés du secteur ont dû s’adapter, voire même se réinventer. L’UNIIC énonce de nouvelles problématiques liées à la production, au dialogue social ou encore aux ressources humaines. Fait marquant, pour toutes les raisons évoquées précédemment, le chiffre d’affaires du secteur a baissé de 16%, une situation inédite.

De son côté, l’Observatoire Com Media estime, dans son étude sur la filière communication, que 20% des entreprises sont en péril. Le monde de l’imprimerie est le plus touché avec un taux de vulnérabilité 3 fois supérieurs aux entreprises du secteur.

Le rebond de l’activité, nouveau casse-tête

Paradoxalement à ce qu’on pourrait penser, la reprise de l’activité économique a eu un goût amer pour les entreprises du secteur papetier. La progression très rapide de la demande et l’augmentation en chaîne des prix des matières premières a un effet quelque peu néfaste.

Nous revenons sur cette situation dans notre premier article de ce dossier spécial, Crise du papier : une situation qui dure.

Tous les acteurs de l’industrie print sont gravement mis à l’ épreuve par ce contexte.

 

 

 

Les imprimeurs en première ligne

Une situation inédite

Les premiers acteurs impactés par cette situation sont les imprimeurs. Ils sont pris en étau entre les défis logistiques d’approvisionnement, l’augmentation des coûts leurs matières premières (papier, encres…) ainsi que les coûts de fonctionnement (électricité, gaz…). 

De mémoire d’imprimeur c’est du jamais vu, de nombreux gérants témoignent de la gravité et de la nouveauté de la situation.

DES ressources insuffisantes

On assiste premièrement à une sur-sollicitation des imprimeries. En effet, certaines entreprises ont délibérément réduit leurs capacités de production en réponse au coup d’arrêt de l’activité suite à la première vague de covid. La reprise massive et soudaine des commandes provoque une sur-exploitation des machines, causant un nombre croissant de pannes et de casses.

De plus, le manque de main d’œuvre se fait grandement ressentir, avec des patrons qui peinent à recruter du personnel qualifié.

A tous ces challenges endogènes s’ajoutent des défis exogènes liés à la conjoncture.

Des défis logistiques majeurs

Les imprimeurs font face à des défis d’approvisionnement, trouver du papier devient une tâche de plus en plus ardue. Les délais de livraisons s’allongent, parfois la commande arrive avec du retard, les prix suivent la grande volatilité des cours mondiaux…

La recherche de matière première devient une véritable épreuve qui prend de plus en plus d’énergie et de temps. Chaque demande devient donc un casse-tête.

Les petits imprimeurs sont doublement frappés. D’une part ils ne font pas assez le poids pour pouvoir négocier avec les géants du papier. D’autre part, leur faible trésorerie accusant le coup des vagues successives d’augmentation, ne leur offre pas la possibilité de construire des stocks de papier suffisant.

Dans une récente conversation, l’un de nos plus importants fournisseurs nous confiait ne plus avoir que du papier 170g disponible ce jour-là. Tous les autres types de papier étaient en rupture de stock totale. De plus, les nouvelles livraisons sont maintenant attendues pour février/mars 2022.

Ce manque de visibilité met donc les imprimeurs dans le flou, on voit dès lors des délais de livraison des imprimés qui ont triplés en moyenne.

Les éditeurs et libraires encaissent le choc

De nouvelles tensions sur le marche

Les éditeurs et plus généralement les revendeurs d’imprimés qui bénéficiaient auparavant de conditions de paiement très favorables (J+30, J+45 après facturation), et de devis avec une longue durée de validité  (jusqu’à 3 mois) sont indirectement impactés par cette situation.

En effet, à cause de l’instabilité des prix et des incertitudes d’approvisionnement, les imprimeurs ne peuvent plus se permettre d’offrir des modalités aussi avantageuses. Les devis sont dorénavant valables 1 ou 2 semaines et les conditions de paiement plus restrictives (acomptes pour pouvoir financer l’achat des matières par exemple).

De plus, les réservations de papier qui étaient valides pendant plusieurs semaines auparavant le sont désormais pour 24h uniquement. Cette situation incite les acheteurs d’imprimés à passer commande rapidement. Il faut donc prendre des décisions de plus en plus hâtives.

Les petits éditeurs et libraires en souffrance

Si cette situation affecte tous les éditeurs, on remarque des disparités dans leurs capacités d’adaptation. Les petites maisons d’éditions ont beaucoup moins de marge de manœuvre que les grandes maisons qui négocient directement avec les papetiers.

Les éditeurs modestes n’ont donc pas eu la possibilité d’anticiper et de faire des réserves de papier. A fortiori, l’enthousiasme post-confinement des Français pour le livre et l’arrrivée des fêtes a poussé les libraires à faire des stocks.

Du côté des librairies, si l’anticipation a été de mise et que Noël approche, c’est plutôt le futur qui inquiète : « il y a un vrai souci de visibilité a long terme », selon Stephanie Laurent, directrice des produits culturels de la Fnac, dans une interview au Parisien.

En cas de succès de certains ouvrages les réimpressions ne seront pas assurées. Les libraires se voient donc dans l’obligation d’expliquer a leurs clients les raisons de l’absence de certains titres dans les rayons.

Les Associations sonnent l’alarme

Fin octobre, les associations d’imprimeurs et d’éditeurs d’Allemagne, d’Autriche et de France ont tiré la sonnette d’alarme au regard de la situation actuelle. Elles ont notamment critiqué le comportement des papetiers et ont invité leurs membres à demander des conseils juridiques.

Les associations ont déploré le fait que des surtaxes aient été appliquées rétroactivement sur du papier déjà commandé et que les lettres adressées aux clients mentionnent le même calendrier de mise en œuvrer et les mêmes verbatims.

« Ce qui est frappant, c’est le moment de l’entrée en vigueur, la formulation similaire [des communiqués] et le montant de l’augmentation des prix« , a déclaré l’association autrichienne Verband Druck Medien dans une lettre ouverte aux producteurs papier.

La fédération européenne de l’impression et de la communication numérique Intergraf a également appelé à un « dialogue ouvert et transparent » entre les papeteries et les acheteurs afin de désamorcer les tensions dues a ces surcoûts soudains et importants. « Cette situation met en péril l’ensemble de la chaîne de valeur« , a déclaré l’association dans un communiqué.

Dans notre prochain et dernier article concernant la crise du papier nous évoquerons le futur de l’indutrie du papier et ce à quoi il faut s’attendre pour l’année prochaine. 

La crise du papier [dossier spécial]

Cet article est le 2ème de notre dossier spécial sur la crise du papier. Hausses de prix, pénuries, quelles problématiques, quels enjeux ?